La crise du Covid-19 a fait augmenter très fortement les troubles psychiques chez les enfants et adolescents. Problème : ils doivent parfois attendre un an avant d’être pris en charge car le nombre de pédopsychiatres a, lui, été divisé par deux en dix ans. La situation devient critique pour assurer un suivi médical correct.

Edité par Julien Penot – franceinfo – Anne-Laure Dagnet

Assise au côté d’une jeune adolescente, Nadia, qui est famille d’accueil, patiente dans la salle d’attente du Centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) de Romainville, en Seine-Saint-Denis. Elle vient régulièrement dans ce centre avec les enfants dont elle s’occupe. Enfin quand elle arrive à décrocher un rendez vous : « Il y a des enfants qui attendent un an, c’est très, très long. Ma fille a attendu un an pour l’orthophoniste, la psychologie… C’est trop long ! Trop long ! Pour des enfants qui ont vraiment besoin de parler, qui ont besoin de quelqu’un de l’extérieur, cela leur fait du bien. C’est catastrophique… » 

« J’ai une orthophoniste qui m’a dit qu’elle avait 150 enfants en liste d’attente. »

Stéphanie, mère d’un enfant de 8 ans, souffrant d’une déficience mentale 

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« C’est entre six mois et un an d’attente pour avoir une orthophoniste« , souffle de son côté Stéphanie. Son fils, Samy, est dans une pièce voisine, en train de jouer au Lego. Le garçon de huit ans souffre d’une déficience mentale. Il est maintenant entre de bonnes mains, mais là aussi, il a fallu s’armer de patience : neuf mois pour avoir accès à un psychologue et à une psychomotricienne. En revanche, impossible d’avoir une orthophoniste : il n’y en a pas assez dans le centre.

 

Stéphanie a alors trouvé à l’extérieur, en libéral après avoir passé pas mal de coups de fil : « J’ai dû appeler une trentaine d’orthophonistes. Pour certains je n’ai pas eu de réponses à mes messages et ceux que j’ai eus étaient vraiment désolé. Ils n’avaient pas du tout de place. À chaque fois en liste d’attente, et c’est entre six mois et un an d’attente. »

 

Une pénurie au détriment des patients

Ces temps d’attente intermibables s’expliquent par une pénurie générale. Dans 32 départements, il n’y a qu’un seul pédopsychiatre. Pour vérifier si le problème ne concerne pas que la région parisienne, direction Rouen, dans un autre Centre médico-psycho-pédagogique. Mais là encore, il manque des orthophonistes, des médecins et des psychomotriciens.

 

Le CMPP de Rouen (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE)

 

La liste d’attente pour un premier rendez-vous est vertigineuse : 300 enfants. Ce retard dans la prise en charge a des conséquences, évidemment, sur ces jeunes. Exemple avec un enfant perturbé par le décés de son grand-père, et dont l’état s’est aggravé, faute de soins. « Théoriquement quelques séances de soutien psychologique pourraient suffir pour l’accompagner« , décrit Tonino Lacomble, directeur du centre.

« A cause de nos listes d’attente, il arrive que le traumatisme se transforme en troubles anxieux, et peut alors déclencher des hospitalisations. »

Tonino Lacomble, directeur du CMPP de Rouen

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L’attente retarde les soins et peut coduire à une hospitalisation, qui vire parfois au cauchemar. Car quand il n’y a pas de lit en psychiatrie pour les enfants, cela concerne dix départements en France, ils sont placés avec les adultes. Une cohabitation qui ne se passe pas toujours bien. Plusieurs cas d’agressions sexuelles de mineurs par des patients adultes ont été signalés à la défenseure des droits.

Délais interminables : des parents craquent

Face à la situation, les parents se retrouvent souvent démunis, épuisés et comme impuissants auprès de leur enfant qui va mal. Certains craquent. « J’ai en tête un enfant en particulier qui a de gros troubles du comportement« , se souvient Elodie Smette, pédopsychiatre au CMPP de Rouen, il n’est pas violent, mais très, très, agité, il peut se mettre en danger.

« J’ai des parents, ils se battent, sauf que le temps qu’ils ont passé sur ma liste d’attente, ils sont au bout du rouleau »

Elodie Smette, pédopsychiatre au CMPP de Rouen

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« Je me retrouve dans la situation, où en voyant ces parents épuisés, à genoux, je dois leur expliquer qu’il va falloir qu’ils continuent leurs efforts. C’est horrible, c’est extrêment frustrant », confie la pédopsychiatre. 

Un manque criant de vocations

La pédopsychiatrie n’attire pas. Les jeunes médecins sont rebutés par l’état du secteur et par cette spécialité très particulière. « Il y a un probléme d’attractivité« , constate Jean Chambry, président de la Société francaise de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, c’est difficile à exercer en libéral. Du coup, si on choisit cette spécialité, on sera contraint de travailler à l’hôpital, et cela n’attire pas beaucoup les internes.

L’autre difficulté du métier est de trouver les bonnes clés entre le jeune patient et ses responsables légaux. « Ce n’est pas simple car il faut s’occuper à la fois de l’enfant et de son environnement, c’est-à-dire la famille, les parents…« , ajoute Jean Chambry. Le danger selon Maurice Corcos, professeur de psychiatrie infanto-juvénile, c’est de privilégier les médicaments à une prise en charge sur le long terme, qui demande plus de moyens.