par Yves Lefebvre
Une assemblée générale intéressante, vivante et conviviale a réuni environ 10% des membres du syndicat si l’on additionne les présents et les procurations. C’est-à-dire que 90% des membres n’ont même pas pensé à envoyer leur pouvoir, encore moins leur avis ou leurs idées, et encore moins leur candidature à un poste de responsabilité ou dans une commission. De ce fait, le conseil d’administration, les commissions et les antennes régionales s’essoufflent faute d’un nombre suffisant d’acteurs, tandis que continuent de planer des menaces sur notre profession auxquelles il devient difficile de faire face par manque de militance.
Le propos n’est pas de culpabiliser quiconque mais de tenter d’analyser le phénomène dont dépend l’avenir de notre belle institution.

Un premier niveau de compréhension porte sur les nombreuses obligations qui accaparent tout un chacun, le travail, la famille, la participation à toutes sortes d’autres associations ou activités diverses… On ne peut pas être partout. Il y a aussi l’éloignement géographique, qui toutefois n’explique ni l’absence des Parisiens ni le petit nombre de procurations.

Un second niveau de compréhension me semble tenir aux limites de la psychothérapie elle-même. Nous nous sommes occupés très longtemps de notre intimité dans le cocon confidentiel d’un cabinet avec l’écoute bienveillante d’une seule personne. Certains ont expérimenté des groupes mais tout aussi cercles fermés confidentiels. Nous reproduisons le modèle avec les personnes qui nous consultent, à l’abri de la société extérieure. La psychothérapie est une matrice qui permet d’accoucher de soi-même. Une matrice, ça enveloppe, ça protège, ça construit l’individu ou ça le répare mais ça ne peut ouvrir au jeu social qu’en la quittant. Ce processus incontournable fonctionne donc nécessairement à l’abri du monde extérieur au moins le temps de chaque séance. La psychothérapie règle, certes, les conflits psychiques que la personne apporte depuis dehors, mais elle le fait dans son giron protecteur. Elle n’apprend pas le jeu social, ce n’est pas sa fonction. Les personnes qui vont mieux se socialiseront éventuellement d’elles-mêmes une fois terminée leur psychothérapie, mais elles garderont souvent la trace indélébile de l’intérêt premier pour leur propre nombril. Les psychopraticiens relationnels que nous sommes, s’ils n’étaient pas déjà engagés et formés au grand jeu sociétal avant leur psychothérapie, s’avèrent de ce fait souvent malhabiles et fort peu motivés dans l’aventure militante, fut-ce pour défendre leur propre profession. Ils n’ont pas appris.
Pendant ce temps le monde qui n’a cure de nous suit sa propre trajectoire.

Il faut lire le remarquable ouvrage de Yuval Harari, Homo Deus, une brève histoire de l’avenir publié chez Albin Michel. On y voit ce qui nous attend, et qui arrive à toute vitesse, quand nous devenons sans nous en rendre compte de plus en plus des hommes-machines, parfois déjà des machines-hommes, vive le transhumanisme, en attendant peut-être machines tout court.
Comprenez-vous où nous entraînent le néolibéralisme et sa religion de la Rentabilité dans une croissance sans fin alors que nous vivons sur une planète limitée, le scientisme doctrinaire dominant la pensée contemporaine et la dictature des datas ? Voyez-vous venir cette sorte de premier cavalier de l’Apocalypse ? Face à lui nous sommes appelés à réintroduire de l’humain dans l’humanité.
C’est notre humble tâche politique, notre subversion écologique pour laquelle la société nous a suscités comme les anticorps dont elle a besoin pour ne pas mourir des maux qui la menacent. Cela donne un autre sens à notre profession, si nous en avons conscience. Cela nous oblige à quitter la petite matrice confortable du secret de notre cabinet et nous engager avec nos collègues pour entrer en Résistance. Sans parler des trois autres cavaliers, tous redoutables, mais lisez Harari et lisez aussi à partir de janvier La Psychothérapie relationnelle écrit par deux membres éminents de notre syndicat si vous voulez en savoir plus. Tout ça pour dire qu’il devient risqué de se dérober à cette dimension de l’existence à laquelle se confronte votre SNPPsy. Il le fait certes pour vous, mais il ne pourra durer et réussir dans sa mission sociétale que par vous.

{Yves Lefebvre membre de la commission déontologie , superviseur agréé par le SNPPsy}